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CHRISTINE DROUILLARD

 

Rendre visible la poésie de ce qui nous échappe

 

Christine Drouillard a commencé la photographie en 1999. Très vite, son caractère s’est affirmé, et son regard s’est porté sur les petites choses a priori indécelables. En cela, elle s’inscrit dans cette grande lignée d’artistes qui savent « voir Â» au sens fort du terme. Voyons quelques unes de ses séries.

« Sous la ligne de flottaison Â» : frontière visible mais fluctuante qui sépare l’air de l’eau, le net du brouillé, zone sèche bien reconnaissable et partie immergée rongée, corrodée, frottée par les embruns, les rigueurs minérales…  De là des couleurs tantôt meurtries, tantôt transcendées, de là des reliefs inattendus, des matières nouvelles, des textures et des grains insolites.

Cette ligne, c’est un peu comme la dichotomie trop brutale entre figuratif et abstrait, cet écart qui séparerait le spectateur de l’image, cette distance supposée entre l’œil qui recherche une représentation du réel, et ce point de vue transformé d’un petit fragment de réalité que le travail de la photographe s’ingénie à sublimer, à transformer. Passons donc en-dessous de cette ligne, Christine Drouillard nous y convie.

La partie visible nous relie à l’humain, au savoir-faire précieux de l’artisan, bâtisseur de nefs. On est au-dessus de cet « horizon Â» que constituerait cette fameuse ligne de flottaison. Mais C.Drouillard nous invite à plonger sous ce trait au tracé hasardeux, jouet de l’élément aquatique. Et si l’œil ose une exploration en-dessous, là les repères nous fuient : l’art de l’eau, insondable, imprévisible, ravage à sa guise, corrompt, colore, éclate et rouille, écaille et croûte le bois, la poix et la ferraille. Il apparaît alors des détails remarquables. Ce sont ces nouvelles apparitions qui captivent l’objectif de l’artiste. Des accidents nés de la nature. Christine Drouillard s’empare de ces états, et en fait une affaire personnelle de textures, de formes, qu’elle reprend et sublime avec sa palette d’effets numériques, comme un peintre jouerait de la sienne. A son gré, elle tire vers la composition abstraite, trouble la vision, grossit un grain, accentue une couleur… Plus la photo s’approche d’une peinture, plus le regard est brouillé, les pistes perdues, meilleur est le résultat. Cette série est peut-être la favorite de la photographe : elle offre toutes les plénitudes de l’image telle qu’elle l’envisage, y compris sa nature intrinsèquement poétique. La révélation du merveilleux dans l’insoupçonné.

Dans une autre série « Vague à l’âme Â», elle explore les ressorts de la nostalgie du noir et blanc, le flou des souvenirs, transpose des images qu’on croirait clichés de vacances tirés à l’argentique en chefs d’œuvre impressionnistes intemporels… Mélancolie et rêveries forment l’écume subtile de ce travail très touchant.

Lorsqu’ailleurs, elle observe les architectures industrielles (« Volts phases Â», sur les  usines et les barrages de la Société Hydro-Électrique du Midi (SHEM) en vallée d’Ossau), on s’éloigne des habitudes constructivistes du genre : les choix de Christine Drouillard révèlent des petits agencements géométriques empreints d’humour et d’humanité.

D’une manière générale, le travail de cette artiste photographe tend à proposer un regard très personnel et techniquement irréprochable ; elle offre une vision poétique du détail, sur lequel elle sait s’attarder ; elle rend visible ces petits riens qui nous échappent, quand on est trop pris par le rythme tumultueux des jours. L’œuvre de cette visionnaire est une vraie invitation au bonheur simple, égarons-nous avec elle sur les chemins de traverse pour nous laisser émerveiller par ce qui nous entoure. 

 

Jean-Henri Maisonneuve

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